Zinédine, merci de nous recevoir encore une fois. Nous vous avions rencontré ici même à Madrid il y a 9 ans, en avril 2005. Qu’est-ce qui a changé entre le Zidane de cette époque et celui d’aujourd’hui ?
Ce qui a changé ? Déjà, il est passé du temps, beaucoup de temps. C’était en 2005 et nous sommes en 2014 aujourd’hui. J’ai pris le temps de me reposer un peu après la fin de ma carrière en 2006. J’ai pris le temps de me poser certaines questions, de me dire sur quoi j’avais envie de continuer. J’ai profité d’abord de ma famille et de ce que je n’avais pas pu faire lorsque j’étais joueur car, quand on est dedans, on est concentré sur notre métier et on ne profite pas des choses qui sont à l’extérieur. J’en ai profité aussi pour réfléchir pendant un moment. Après, je me suis tourné vers là où je me sens le plus utile, où j’ai quelque chose à donner ou à apporter. Je fais beaucoup de choses, mais il y a des choses qui sont importantes où vous avez l’impression de construire quelque chose. C’est de ça dont j’ai besoin aujourd’hui. C’est pour ça que j’ai pris tout ce temps. Là, aujourd’hui, nous sommes en 2014. Nous ne sommes plus à Las Rozas, mais à Valdebebas* (rire).
Est-ce durant la période où vous étiez presque un directeur sportif que vous vous êtes dit que votre dada est le terrain et que vous aviez ressenti le besoin d’avoir une fonction qui vous rapprocherait du terrain ?
Ah, oui ! C’est ce que je vous ai dit : j’ai pris le temps de réfléchir. Je n’ai pas été directeur de la première équipe tout de suite. J’avais commencé par être un conseilleur du président Pérez que je voyais de temps en temps, avec qui je parlais de foot en lui donnant mon avis. Petit à petit, ce poste de directeur était arrivé. Je l’ai pris parce que j’avais un petit peu envie de voir comment ça se passait de l’autre côté. J’étais joueur jusque-là et je voulais découvrir l’autre côté de ce sport : les bureaux. Après, on s’aperçoit que c’est bien, qu’il y a des choses intéressantes, mais que c’est beaucoup de travail et beaucoup de choses qui sont en dehors du domaine sportif. Après, je me suis dit qu’il fallait que je me tourne vers une seule chose : le terrain. C’est pour ça qu’après, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur. J’avais commencé par passer un diplôme de manager parce que, justement, j’étais directeur à Madrid.
Avec votre humilité coutumière, vous n’avez pas hésité à «aller à l’école» en intégrant un centre spécialisé en formation en management sportif à Limoges…
(Il nous coupe) Ce n’était pas de l’humilité. C’était un besoin. J’avais besoin d’outils pour le poste que j’avais à l’époque.
Comment les enseignants et les «élèves» de ce centre vous regardaient-ils ?
(Sourire) Au départ, ils s’étaient posé la question de savoir ce que je faisais là-bas, estimant que je n’avais pas besoin de ce diplôme. Après, ils ont compris que j’avais besoin de ce cheminement. Pour un footballeur, jouer au ballon et se reconvertir dans la fonction d’entraîneur, de dirigeant ou de président sont deux choses biens différentes. Quand vous êtes joueur, vous ne vous occupez que de vous-même, mais quand vous prenez une autre fonction, vous vous occupez des autres et pas de vous. Vous avez 22, 23, 24 ou 25 joueurs dont vous êtes responsable. Donc, j’avais besoin de ce cheminement pour moi. Donc, au départ, les autres élèves étaient surpris de me voir passer un diplôme de manager. Après, ça s’est fait naturellement.
Au-delà de la formation théorique, vous avez eu le privilège de travailler, dans la pratique, aux côtés de deux très grands entraîneurs : José Mourinho et Carlo Ancelotti. Qu’avez-vous appris au contact de chacun d’eux ?
Vous prenez toujours quelque chose des gens avec lesquels vous travaillez. Toujours ! Même des entraîneurs que j’avais eus dans ma carrière de joueur et il se trouve que j’ai eu de très grands entraîneurs. On prend toujours des uns et des autres et pas forcément toujours des bonnes choses. Je veux dire par là qu’il y a aussi des entraîneurs qui ont certains défauts et on se sert de ça pour, si on devient entraîneur un jour, ne pas commettre les mêmes erreurs. On peut se servir du positif et du négatif. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j’ai appris de tous les entraîneurs avec qui j’ai travaillé.
Les «Clasicos» de ces dernières années entre le Real Madrid et le FC Barcelone ont été particulièrement âpres et disputés, souvent même très tendus. Auriez-vous aimé jouer ces derniers matches avec Cristiano Ronaldo comme coéquipier et Lionel Messi comme adversaire ?
J’ai eu mon époque, moi aussi. Il ne faut pas essayer de dire que j’aurais préféré vivre à cette époque-ci. La mienne avait été aussi très disputée entre Barcelone et Madrid…
… Avec votre rivalité avec Rivaldo, entre autres…
Oui, mais même si Ronaldo et Messi sont deux joueurs qui font la différence de manière incroyable par leurs statistiques, les buts qu’ils marquent et ce qu’ils arrivent à faire sur le terrain, ces deux-là sont un peu au-dessus de tout le monde. A notre époque, il y avait beaucoup plus de joueurs qui étaient bons et qui faisaient la différence. Il n’y avait pas que deux. Cela dit, je ne changerais pas d’époque. J’ai vécu la mienne. Elle était aussi intéressante et les duels entre Madrid et Barcelone étaient intéressants aussi. Je me souviens avoir même disputé une demi-finale de Champions League contre Barcelone là-bas et avoir marqué là-bas. Donc, il y a de grands souvenirs.
Vous avez eu le privilège d’être dans l’équipe des Galactiques du Real, avec comme coéquipiers Roberto Carlos, David Beckham, Ronaldo, Robinho, Figo, Raul… Auriez-vous aimé jouer aux côtés de Cristiano Ronaldo, que vous côtoyez chaque jour aux entraînements du Real Madrid ?
Même si je ne joue pas avec lui, je me rattrape aujourd’hui en m’entraînant avec lui (rire). J’ai la chance de m’entraîner de temps en temps avec lui, comme je l’ai fait aujourd’hui. Je suis donc au contact avec le groupe. Même si je n’aurai pas l’occasion de jouer avec lui, j’ai l’occasion de le côtoyer à l’entraînement.
Justement, Di Maria nous a reçus ici il y a une dizaine de jours et il nous avait dit que vous êtes, pour les joueurs du Real, plus un coéquipier qu’un entraîneur. Vous êtes donc très proche d’eux. Est-ce parce que vous leur parlez souvent ou bien parce que vous vous entraînez avec eux ?
Non, non ! En fait, je m’entraîne avec les joueurs de temps en temps seulement, quand il y a des joueurs absents, comme ce matin parce que Bale n’a pas pu s’entraîner. Sinon je ne m’entraîne pas. Il faut quand même rester à sa place. Je suis là juste de temps en temps, quand il y a une possibilité. Il y a de jeunes joueurs qui viennent s’entraîner avec nous, mais, quelques fois, ils ne peuvent pas le faire et c’est pour ça que je participe aux exercices. Je suis entraîneur adjoint et je veux rester entraîneur adjoint. Je ne suis plus joueur. Cependant, c’est bien de temps en temps de pouvoir s’entraîner avec eux. La relation que j’ai avec les joueurs est juste celle d’avoir une proximité avec eux et essayer de les aider dans ce que je vois au quotidien.
Qu’avez-vous à dire sur la victoire de Cristiano Ronaldo au FIFA Ballon d’Or ? Cela a dû être difficile pour vous de choisir entre votre joueur et votre ancien coéquipier en sélection de France, Franck Ribéry, qui a remporté 5 titres en 2013…
Non, ça n’a pas été difficile pour moi parce que, tout simplement, je n’ai pas voté. Pour répondre à la question, vous l’aviez bien dit : Ribéry a remporté 5 titres et a réalisé une belle saison, mais il y a un autre, Ronaldo, qui a remporté le Ballon d’Or en ayant marqué 69 buts en 2013. Je ne sais pas si certains joueurs peuvent marquer 69 buts en cinq ans. C’est vrai ! C’est impressionnant et je pense qu’il n’y a pas à crier au scandale quand Ronaldo gagne le Ballon d’Or. Après, Ribéry, avec qui j’ai joué, a fait une grande saison, mais bon… Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas voté. Donc (rire)…
De l’avis des observateurs, Ribéry a eu un grand mérite dans la qualification de la France à la Coupe du monde. Pensez-vous qu’il est le joueur le plus influent au sein de la sélection, comme vous l’étiez vous à votre époque ?
Il l’est naturellement par son jeu. Il est le leader de jeu. Pour ce qui est d’être leader d’équipe, je ne suis pas dans cette équipe de France pour voir comment ça se passe, mais sur ce que Ribéry fait sur le terrain, c’est un leader de jeu. Il n’a pas peur de prendre le ballon, de prendre le jeu à son compte. Moi, j’étais plus un numéro 10 qui faisait jouer les autres, lui est plus un attaquant dribbleur. Notre profil est un peu différent, mais il est en tout cas leader de jeu.
Karim Benzema a été longtemps inefficace avec la France, mais Didier Deschamps lui a quand même maintenu sa confiance et cela a fini par payer. Vous qui le connaissez bien, pensez-vous qu’il a juste besoin de confiance pour étaler tout son potentiel ?
Ce n’est pas propre à Karim Benzema. C’est propre à tous les joueurs. Tout joueur a besoin de la confiance à la fois de son entraîneur, de son public et de ses coéquipiers. Il y a des périodes où vous êtes bien et où vous n’avez pas besoin d’être mis en confiance, mais quand vous êtes moins bien, vous avez besoin de ça.
On parle de Benzema parce qu’il avait fait l’objet de critiques virulentes, parfois très méchantes…
Oui, mais il sait comment ça se passe. A un moment donné, il n’avait plus marqué en équipe de France pendant un petit moment, mais il n’a pas lâché. Ce qui est bien est qu’il a continué à travailler. Il savait qu’il allait sortir de cette mauvaise passe et il en est sorti. D’ailleurs, c’est lui qui a marqué pour qualifier la France à la Coupe du monde. Ce sont des parcours de joueurs qui sont normaux et logiques. Moi aussi, j’ai eu de mauvaises phases. C’est logique.
Vous n’en avez pas eu beaucoup, tout de même…
Oui, mais j’ai eu quand même de mauvais moments et, là, vous avez besoin des autres pour vous dire que ce n’est pas grave, qu’il faut continuer à travailler… Et ça fait du bien.
Le paradoxe est qu’au Real Madrid, il marquait des buts. Quand vous vous êtes mis à le soutenir et à l’encourager, c’était par rapport à son rendement en équipe de France ?
C’était par rapport à l’individu, surtout. Par rapport à Benzema lui-même. C’est lui que j’avais envie de soutenir parce qu’au-delà du fait d’être derrière lui et de lui dire qu’il faut continuer à travailler, il y a derrière un talent énorme. Ça ne suffit pas d’avoir que du talent. Il travaille beaucoup et c’est le rôle que j’assure avec lui, mais c’est parce qu’il a du talent que je lui dis qu’il faut qu’il continue à travailler. Le talent, seul, ne suffit pas et le travail, seul, sans talent, ne suffit pas non plus. Les deux vont ensemble et lui a les deux. Quand il a le talent et qu’il se met à travailler, il fait des choses extraordinaires.
L’Algérie sera également en Coupe du monde, comme la France. Avez-vous suivi son parcours durant les éliminatoires ?
Bien sûr ! Je suis toujours. Je ne regarde pas forcément tous les matches et de près, mais je suis les résultats et tout ce qui se passe. Heureusement (rire) !
Que pensez-vous de cette deuxième qualification de suite pour un Mondial ?
Je suis content. Comme vous dites, c’est la deuxième qualification d’affilée. J’ai plus vécu la qualification d’il y a quatre ans où j’avais suivi presque tous les matches et aussi quand les joueurs étaient retournés en Algérie après la qualification. J’avais vu les images et c’était assez impressionnant. Ce qui est bien, c’est que c’est une continuité. La sélection s’est installée dans quelque chose qui va durer, comme on avait vu l’équipe d’Algérie en 1982 et en 1986. C’est ce qu’on a envie de retrouver : la continuité. C’est comme ça que vous construisez des choses. Pour les joueurs, ce sont des compétitions comme ça qui les font grandir. Des compétitions difficiles, à enjeu, qui forment une équipe et les joueurs.
Dans les matches que vous avez pu regarder, y a-t-il un joueur algérien qui a attiré votre attention en particulier ?
J’aime bien le joueur de Valence, Feghouli, même si, pour moi, il a encore une marge de progression. C’est un joueur qui fait jouer les autres et j’aime bien ce type de joueurs. Il n’a pas encore le niveau qui devrait être le sien, mais j’aime beaucoup. Il fait de belles choses ici, en Espagne. Je le vois jouer, il arrive pas mal de fois à faire la différence. Çe serait bien qu’il arrive à faire la même chose en sélection, mais ça va revenir. Moi, j’y crois. A côté de Feghouli, il y a beaucoup de très bons joueurs.
Pensez-vous que Vahid Halilhodzic a apporté quelque chose aux Verts ?
(Il sourit, puis répond en serrant le poing et en l’agitant de haut en bas et de bas en haut) Il a surtout apporté sa gniak ! Il a apporté sa gniak et son franc-parler. Il apporte un peu d’énergie. De toute façon, les joueurs ont besoin de ça. Ils ont besoin de se faire bousculer. Je pense qu’il a ramené ça, ainsi qu’un petit peu de folie. Surtout que ses origines combinées aux nôtres, ça donne du tempérament (rire). Il a ramené du tempérament, beaucoup de travail et l’abnégation.
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