Equipe d'Algérie

Sadio Mané «Salah m’a donne RDV en finale de la CAN»

On a tout pour gagner le trophée

Auteur : In France Football mardi 25 juin 2019 11:51

Le récent champion d'Europe avec les Reds a connu un parcours assez incroyable, du temps de son enfance au Sénégal, sur lequel il revient avec sincérité et authenticité.

Pourquoi votre rêve de foot date d'il y a tout juste dix-sept ans ?
C'est vrai que tout est un peu parti de là. En 2002, j'avais dix ans, et je me souviendrai toute ma vie de ce match du Sénégal contre l'équipe de France (1-0) à la Coupe du monde. Je me souviens encore de la date : c'était un 31 mai. C'était le dernier jour de l'école mais notre maître nous avait laissé partir plus tôt pour suivre le match. Je n'étais même pas rentré chez moi. J'avais donné mon sac à l'un de mes petits frères et avais couru jusqu'au village pour me mettre devant une télé, en noir et blanc. Et là j'ai tout suivi et me souviens encore de toutes les actions. Un peu comme dans un rêve. Cette équipe m'a tellement transporté sur ce match-là puis sur la suite de la compétition (NDLR : le Sénégal ira jusqu'en quarts de finale, éliminé par la Turquie, 0-1, b.e.o.) que je me suis dit qu'un jour il faudrait absolument que je fasse comme eux. Ma vie a sans doute basculé un peu à ce moment-là, mais comme celle de beaucoup d'autres enfants aussi dans mon village. (Il marque une pause.) Mais il n'y a que moi qui ai réussi à aller au bout de mon rêve absolu.

Pourtant, tout n'a pas été franchement simple pour y parvenir, non ?
C'a été très très compliqué, en effet. (Son visage se fait grave.) Personne n'aimait le foot dans ma famille. Ma mère me chassait à chaque fois qu'elle me voyait jouer au foot. Je devais quitter l'ombre de l'arbre à palabres pour me retrouver en plein soleil. C'était dur pour moi car je me sentais un peu seul. Je ne comprenais pas pourquoi on ne m'autorisait pas à vivre mon rêve. Je savais que je voulais devenir footballeur. Mais il restait une grosse question : comment ? Comment y arriver alors que toute ma famille est contre moi, que personne dans mon village (Bambaly, en Casamance, à 300 km de Dakar) n'a réussi un jour grâce au foot et que j'habite loin de Dakar, où tout se passe ?
 
C'est la raison pour laquelle vous avez un jour fugué de chez vous ?
Le foot, c'était toute ma vie. Je manquais parfois l'école pour y jouer et des profs venaient voir mes parents pour le leur signaler. Ils ne comprenaient pas car ils me voyaient partir tous les matins avec mon sac. Je ne leur disais pas que parfois je m'arrêtais jouer au lieu de filer jusqu'en classe. Des gars du village ont commencé à dire que j'étais assez bon et qu'ils allaient m'aider à partir à Dakar, où ils connaissaient du monde, qu'ils m'aideraient à tenter ma chance. En 2008, à seize ans, j'ai donc pris la décision de fuir mon village.

Comment vous y êtes-vous pris ?
J'ai tout préparé minutieusement, en sachant que je n'avais pas du tout d'argent. La veille, j'ai caché dans les herbes hautes, devant la maison, mon sac de sport avec des affaires pour ne pas me faire surprendre en partant. Et tôt le lendemain matin, vers 6 heures, je me suis brossé les dents et n'ai même pas pris ma douche. J'ai filé sans prévenir personne, sauf mon meilleur ami. J'ai marché pendant longtemps avant de retrouver un ami qui m'a prêté un peu d'argent pour prendre un car en direction de Dakar. Là-bas, j'ai été accueilli par une famille que je ne connaissais pas. J'ai aussi tout de suite participé à des entraînements au sein d'équipes confirmées. Mais mes parents me cherchaient partout. Ils étaient persuadés que mon meilleur ami savait. Il a tenu, il n'a rien dit. Comme ma famille et la sienne lui ont mis une pression terrible, il a fini par avouer. Mes parents m'ont alors appelé pour me demander de rentrer. Je ne voulais pas car j'avais honte de revenir, mais j'ai fini par céder en leur faisant promettre de me laisser tenter ma chance une fois mon année scolaire finie.

C'a été dur de patienter ?
Oui. Surtout que j'avais régulièrement des propositions pour intégrer des centres de formation. Mais c'était payant. Je me souviens qu'une fois on m'a demandé 150 000 francs CFA (soit environ 230 €) pour l'année, ce qui était énorme pour des gens pauvres comme nous. Mon oncle, qui était le seul à subvenir aux besoins de la famille, m'a dit : "Impossible ! Avant de penser au foot, je dois penser à nourrir tout le monde."

Comment avez-vous fini par intégrer une structure?
(Il sourit.) L'histoire est encore très longue. Je me souviens que je marchais bien à l'école. En troisième, j'étais premier de ma classe lors du premier semestre avec quatorze (sur vingt) de moyenne. Mais petit à petit, j'ai chuté. J'ai dû finir vingt-cinquième avec neuf de moyenne. C'était sans doute ma manière de faire comprendre à mes parents que je voulais vite passer à autre chose. Ma mère et mon oncle ont fini par m'écouter. Je devais faire un essai à Casa Sport (un club de Ziguinchor, la plus grande ville de Casamance) dont l'équipe évoluait en Première Division. Mais je me suis blessé à la cheville pour un mois. Pas de test à Casa. J'ai ensuite filé en courant à Kodji, qui était à peu près à vingt-cinq kilomètres de Bambaly, avec ma cheville encore un peu gonflée, pour faire un autre test. Et là-bas j'ai trouvé un vieux qui s'appelle Senghor. Cette histoire, je ne l'ai encore jamais racontée...

Et alors ?
Kodji, je connaissais car il m'arrivait d'y aller de temps en temps pour voler des noix de cajou. Plusieurs fois, le vieux Senghor nous a surpris et nous a chassés. Et quand je suis arrivé à Kodji, Senghor était là sur son vélo. Quand il m'a vu, il a foncé vers moi. Je me suis dit qu'il allait encore me reprocher mes vols. Je me suis caché. Le vieux est venu et m'a dit : "Sadio, ne t'inquiète pas. Je voulais te parler de foot. On m'a dit que tu étais très fort. Et comme mon frère a une équipe à Mbour (une ville à 80 km de Dakar), je peux t'aider." En rentrant chez moi, je n'en ai même pas parlé à ma mère car je n'y croyais pas trop. Il y en a tellement qui m'avaient promis des trucs et dont je n'ai plus jamais eu de nouvelles ensuite. Mais ce fameux Senghor est venu parler à ma mère et l'a convaincue, en lui promettant que je pourrais continuer à suivre mes études. Kodji ce n'était pas un grand club, mais c'était surtout un endroit avec les fameux navétanes (tournois informels et hors cadre classique très populaires au Sénégal), qui permettent de se faire remarquer par des recruteurs pour intégrer des structures plus élaborées. À la fin de la saison (en 2005), comme je marchais bien, j'ai fini par aller à l'AS Génération Foot (académie et club de foot, désormais en Première Division, partenaire du FC Metz, que rejoindra Sadio Mané en 2010) grâce à quelqu'un qui connaissait le jardinier de cette académie, pour y passer des tests.

Forcément, là encore on parie que ça n'a pas dû être simple...
Il y avait deux à trois cents jeunes qui attendaient en file pour tenter leur chance. Ça partait mal pour moi, car quand je me suis présenté on m'a un peu ri au nez. Je ne ressemblais pas trop à un footballeur. J'avais une culotte qui ne ressemblait en rien à un short de foot. Et mes chaussures étaient toutes déchirées sur le côté et réparées comme j'avais pu avec du fil. Ceux qui faisaient passer les tests me regardaient bizarrement. "Tu veux vraiment devenir footballeur ?" Je les comprenais mais je n'avais pas le choix... Comme je n'étais pas trop mal, j'ai été pris. C'était le début de mon aventure.

Une dizaine d'années plus tard, que reste-t-il du petit garçon entêté de Bambaly ?
J'ai gardé la même détermination. Quand je veux quelque chose, je donne tout pour y arriver. Je n'oublierai jamais par là où je suis passé. Je n'en ai pas honte. J'en ai même fait ma force. J'ai appris la vie très vite et je crois que j'ai retenu les leçons. Encore aujourd'hui, je n'ai rien oublié de ces années-là. Je suis un peu la preuve que l'obstination peut conduire très haut. Il faut juste s'en donner les moyens. Moi, je me levais par exemple très souvent tôt le matin avant l'école pour aller courir une douzaine de kilomètres. Je me disais que cet entraînement supplémentaire me servirait un jour.

C'est pour ça aussi que vous arrivez désormais toujours le premier à l'entraînement ?
Peut-être... J'aime bien être sur place une heure avant pour des soins, des massages... Je suis un bosseur, et j'estime que ça fait partie de mon métier. Si je veux progresser, ça passe par là.

Vu votre trajectoire et vos origines, vous sentez-vous à l'aise dans le milieu du foot pro ?
J'avoue que pendant longtemps c'était assez dur pour moi. Le changement était trop brutal par rapport à mon Sénégal et ma culture. Après avoir passé toute mon enfance à entendre les adultes inciter à toujours mettre l'autre en avant, là je me suis rendu compte que c'était un peu du chacun pour soi. Il y a aussi tout cet argent, la médiatisation... Moi, ça, ça ne me touche pas du tout. Vraiment. Je ne me sens pas concerné. Bien sûr, je fais partie de ce milieu. Mais je m'en méfie un peu. Je reste à l'écart, évite les réseaux sociaux et retourne le plus souvent possible au village pour garder les pieds sur terre. Je n'aime pas me faire voir. Je suis quelqu'un de discret qui voulais être footballeur, pas une vedette. Je ne triche pas. Et surtout, j'aime bien tout le monde et ne fais pas trop attention à ce quise passe à côté de moi.

Pourtant, votre idole a longtemps été El-Hadji Diouf, qui est un peu votre opposé avec son côté chambreur, extraverti...
Moi, c'est surtout le joueur que j'adore. Il m'a fait beaucoup rêver. Je suis un garçon qui aime bien observer. Et en regardant "El-Hadj", je voyais un joueur extraordinaire avec le ballon. Je me régalais avec ses dribbles et ses feintes.

Votre différence se manifeste aussi dans vos passe-temps : vous, c'est plutôt les jeux de cartes que les jeux vidéo, non ?
(Il sourit.) Ah oui ! Je suis peut-être le seul footballeur professionnel au monde à ne pas savoir jouer à la PlayStation. Vraiment. Je n'ai jamais essayé et ça ne m'intéresse pas du tout. Pourtant, que ce soit en club ou en sélection, je suis entouré de joueurs qui y passent leur temps. Mais ça ne me passionne pas. J'avoue que je ne sais même pas comment me servir d'une manette. Je préfère jouer au Uno. Mes coéquipiers se moquent forcément de moi, mais ce n'est pas très grave.

Vous avez aussi un petit rituel quotidien, celui du coup de fil avec la maman...
Obligatoire ! Je lui ai pris un abonnement en illimité uniquement pour moi. Elle a besoin de m'entendre. Même si elle a tout fait au début pour que je ne m'embarque pas dans le foot, elle compte beaucoup pour moi. Je comprends ses réticences. Elle n'avait jamais vu quelqu'un réussir par le foot. Elle croyait que c'était un mirage, que personne n'y arrive jamais puisque aucun joueur du village n'était parvenu à percer ni à en vivre. À l'arrivée, ils n'avaient pas de métier et c'est surtout ça qu'elle retenait et qu'elle voulait m'éviter. Pour elle, le foot était un piège, une perte de temps. Maintenant, je crois qu'elle a compris et qu'elle a changé d'avis (il sourit). Et c'est important pour moi...

Elle ne vous a pas ménagé, pourtant, quand vous étiez jeune... Vous lui en avez voulu ?
Au village, quand je faisais quelque chose de mal, ma maman ou mon oncle me frappaient. J'ai été tapé pas mal de fois parce que, par exemple, je n'allais pas à l'école. Parfois je rentrais accompagné d'un ami quand je savais que je risquais d'être battu pour ne pas être allé à l'école. Mais ça fait partie de l'éducation. Grâce à ça, je ne me suis jamais perdu. Je remercie tous les jours ma mère pour ça.

Le petit garçon a grandi au point d'être désormais attendu partout un peuple à l'occasion de cette CAN. Comment s'accommode-t-on de ce genre de pression ?
Je connais la réalité de ce pays de football. C'est à nous de réussir quelque chose de grandiose. Bien sûr que l'on fait partie des favoris, on ne va pas se le cacher. Mais ce statut ne suffit pas pour aller au bout. Nous sommes allés en quarts de finale en 2017 (éliminé parle Cameroun, futur vainqueur de la compétition, 0-0,4t.ab.à5, Mané ayant manqué sa tentative). On se sait attendus, et nous n'avons pas le droit de ne pas y croire. Car on a tout pour gagner.

Vous le gentil, on vous a même entendu appeler à davantage muscler l'Image de la sélection, en arrêtant notamment de vous falre appeler les Lions de là teranga (la bienvenue en wolof )...
Oui, un Lion, sur le terrain, ne doit pas être gentil. Alors appelez-nous les Lions, ça suffira.

Cette réflexion ne vous est-elle pas applicable ?
En dehors du terrain je suis très gentil, je l'avoue. Mais sur un terrain je ne me suis jamais laissé faire.

Vous qui n'avez encore pas réussi de gros coups d'éclat avec la sélection, jouez-vous gros en Egypte après avoir loupé le tir au but qui a entraîné votre élimination en 2017 ?
Je sais que je suis attendu. C'est normal. Mais ça ne me fait pas peur.

Vous êtes-vous donné rendez-vous en finale avec Mohamed Salah, votre coéquipier à Liverpool ?
Lors de la remise de son trophée de meilleur joueur africain, en janvier à Dakar, c'est lui qui a donné rendez-vous au Sénégal en finale. (Il sourit.)
 
Un titre de champion d'Afrique serait-il encore plus fort qu'un titre de champion d'Europe ?
Oui, j'en suis sûr. Gagner pour son pays, qui n'a encore jamais remporté une CAN (en quatorze participations), ça doit être magnifique. Je suis même prêt à échanger une Ligue des champions (Mané a été sacré champion d'Europe avec Liverpool en battant Tottenham2-0, en finale, le 1er juin, à Madrid) contre une CAN. Le retour à Dakar serait extraordinaire. Ce serait mon rêve le plus fou.
 

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