Coupe du Monde

Halilhodzic : «Si j’avais été sélectionneur des Bleus, certains ne seraient jamais revenus»

«La Corée sera peut-être l’adversaire le plus dur du groupe» «J’ai beaucoup apprécié le comportement responsable de Ziani» «J’ai bâti une équipe qui sera beaucoup plus forte dans quatre ans, en Russie»

Auteur : In France Football mardi 10 juin 2014 21:55

Le sélectionneur de l’Algérie aborde la Coupe du monde sans crainte, mais sans optimisme démesuré, ce qui lui vaut parfois de sévères critiques. Face à l’emballement populaire autour des Fennecs, il tente d’opposer une vision réaliste des choses. Trois ans après son arrivée à la tête de l’Equipe nationale d’Algérie, Vahid Halilhodzic est impatient d’en découdre. La Coupe du monde est une épreuve qui ne lui a pas porté bonheur jusqu’à présent. En 1982, il avait été privé d’un poste de titulaire qui lui semblait acquis dans l’équipe de Yougoslavie. En février 2010, il a été viré de la sélection ivoirienne dès sa première défaite contre… l’Algérie, en quarts de finale de la Coupe d’Afrique des nations. Mais l’homme que nous avons rencontré à Lille, où il vit toujours, avant le début de la préparation au Mondial, n’est pas en quête de revanche. C’est un défi collectif qu’il entend relever au Brésil. Celui de qualifier l’Algérie pour le second tour. Un défi immense, comme il les aime.

 

Entre vous et la Coupe du monde, ça n’a pas souri jusque-là pour vous, comme en 1982, en Espagne…
Oui, et ça restera un traumatisme pour la vie. À l’époque, j’étais le seul joueur qui n’avait pas eu la permission de quitter la Yougoslavie à vingt-huit ans. On ne voulait pas que je parte, à cause des qualifications pour la Coupe du monde où l’on était tombés dans un groupe compliqué avec l’Italie. J’ai pu signer à Nantes à vingt-neuf ans, un an après les autres. J’avais accepté parce que c’était la Coupe du monde et que l’on avait une grosse équipe. D’ailleurs, on avait terminé en tête de notre groupe, devant l’Italie, future championne du monde. J’avais été élu meilleur joueur de Yougoslavie. J’étais l’un des favoris au titre de meilleur buteur. Il y avait des gars comme Susic, Surjak, Petrovic, pour me donner de bons ballons. Tout était réuni pour faire un beau Mondial. Hélas, une fois sur place, tout a changé.
La Yougoslavie a été éliminée au premier tour et vous n’avez débuté aucun des trois matches, contre l’Irlande du Nord (0-0), l’Espagne (1-2) et le Honduras (1-0). Pourquoi ?
Miljan Miljanic, le sélectionneur, a changé de tactique au dernier moment et décidé de jouer sans avant-centre. Il a aligné Zlatko Vujovic, qui n’était pas un buteur, et moi, je me suis retrouvé sur le banc. J’ai dû me contenter d’entrer à trois reprises en cours de match. Il n’y avait aucune raison de modifier un système qui fonctionnait bien. Mais il y a eu des pressions politiques de la part de certains clubs qui avaient besoin de valoriser leurs joueurs pour mieux les vendre à l’étranger.
Comment avez-vous vécu cette disgrâce ?
Très mal. J’avais perdu l’envie. J’aurais même préféré ne pas entrer en cours de jeu. On m’a privé du plus beau rendez-vous de ma carrière.
Vous n’avez pas eu d’explications ?
Non. Certains joueurs, comme Susic, étaient montés au créneau pour réclamer ma présence sur le terrain. J’ai éprouvé un sentiment d’injustice parce que j’avais accepté de différer mon départ. Il y a quelques années, j’ai croisé Miljanic (NDLR : décédé en 2012, à 81 ans). Je l’ai salué par politesse. Lui a insisté pour me parler : “Je peux te le dire aujourd’hui, m’a-t-il avoué, je me suis trompé. J’ai cédé aux pressions, je le regrette profondément.’’ J’ai répondu que ça ne changeait plus rien. Je n’ai jamais oublié ce qui s’est passé en 1982. Cela a influencé toute ma carrière d’entraîneur.
C’est-à-dire ?
Lorsque j’ai des décisions à annoncer, je fais très attention à ne pas blesser les gens. Quand on choisit, on fait forcément mal à des joueurs que l’on apprécie. Si l’on n’est pas prêt à cela, on ne peut pas être entraîneur. Mais il faut être juste avec tous les joueurs. Plusieurs fois, j’ai eu du mal à choisir. Ne pas sélectionner un joueur pour une Coupe du monde, c’est un choix terrible ! Moi, je suis sensible, je n’aime pas faire de mal aux gens. Mais j’ai toujours raisonné en fonction des intérêts de l’équipe qui doit être au-dessus de tout le monde.
Pour une Coupe du monde, on ne choisit pas forcément les 23 meilleurs ?
Exactement ! Il y a le choix des joueurs et le choix des hommes. Certains ne supportent pas d’être remplaçants. En 1998, Aimé Jacquet n’avait pas pris Cantona et Ginola, deux monstres à l’époque. Il avait préféré Dugarry, Guivarc’h ou Diomède. Et il a eu raison. Les 23 joueurs doivent être au service de l’équipe. J’ai écouté Claude Onesta (sélectionneur de l’équipe de France de handball) qui a remporté de grands succès dans sa carrière. Il a dit que les joueurs qui ne supportaient pas d’être sur le banc pouvaient créer un malaise et influencer le rendement de l’équipe. Ceux-là, il faut les écarter avant. Ou alors, si le problème survient pendant la compétition, le régler tout de suite. Si l’on tergiverse deux ou trois jours, c’est déjà trop tard. En sélection, c’est encore plus sensible qu’en club, parce que tu n’as pas le temps. Dans ces situations, il ne faut pas avoir de sentiment ou faire des concessions. Sinon, ce n’est pas toi-même que tu condamnes, c’est l’équipe.
C’est ce qui s’est passé en équipe de France à une époque ?
 J’ai lu le livre de Domenech (Tout seul). Il était en conflit permanent avec les joueurs. Jamais je ne pourrais travailler dans ces conditions. Si j’avais été sélectionneur des Bleus, certains ne seraient jamais revenus. Hélas, la morale et l’éthique se perdent partout dans notre société.
Un joueur peut-il véritablement comprendre pourquoi il n’est pas sélectionné ?
Un joueur n’est jamais prêt à entendre qu’il y a meilleur que lui. Mais j’en ai connu qui se comportaient dignement. Karim Ziani, par exemple. Il était titulaire avant que j’arrive. Mais Feghouli a déboulé et s’est imposé. Cela a provoqué un tollé en Algérie. Le public scandait son nom, il y avait des banderoles en sa faveur. Karim (aujourd’hui à Al-Arabi, au Qatar) est resté très correct et n’a jamais émis de critiques. J’ai beaucoup apprécié son comportement responsable.
La Coupe du monde, c’est une aventure collective, mais c’est aussi un challenge individuel pour les joueurs…
Bien sûr. C’est une vitrine exceptionnelle. Un but en Coupe du monde, ça vaut 50 buts en championnat. Le gars qui vaut un million au début d’une Coupe du monde et qui flambe peut en valoir trente à la sortie. Sur un match, un joueur peut multiplier son salaire par dix. Tout le monde veut se montrer, c’est normal.
C’était le problème de l’équipe d’Algérie à votre arrivée, en 2011. Tout le monde voulait se montrer…
Le groupe n’existait plus. Il s’était déchiré après le Mondial-2010 et restait sur une humiliation face au Maroc (0-4 à Marrakech en éliminatoires de la CAN-2012). Ils étaient des héros nationaux, puis ont basculé de l’autre côté et sont devenus la cible des critiques. Lors de la première réunion, j’ai pris la parole pendant dix minutes. Des joueurs ont levé la main. Ils ont sorti tout ce qui n’allait pas, les retards, l’individualisme, les comportements qui menaçaient la cohésion. Il y avait une grosse attente de leur part au niveau du travail et du respect. Il fallait donc aérer le groupe. Certains sont partis d’eux-mêmes car ils croyaient leur place assurée, d’autres sont arrivés. Je leur ai dit que si on ne plaçait pas le collectif au-dessus de tout, on allait être ridicules.
Vous traitez les joueurs de la même façon ?
Attention, je ne dis pas que l’on doit gérer Ibrahimovic de la même façon que Digne. Mais lorsque l’entraînement est à 10 heures, c’est 10 heures pour tout le monde. Lorsque j’étais en Côte d’Ivoire, un joueur m’avait expliqué qu’en raison de son statut, il ne pouvait pas être remplaçant. Je lui ai répondu : “Mais de quelle statue tu me parles ? Je n’ai pas vu de statue de toi en ville.’’
Trois ans plus tard, estimez-vous que les joueurs se sont pliés à cette exigence ?
Aujourd’hui, le comportement des internationaux algériens est à la hauteur de ce que l’on voit dans les plus grandes équipes. Je suis très fier de ce que nous avons accompli. J’ai essayé 75 joueurs en deux ans et demi et on a fait un boulot énorme. Notre qualification a été banalisée, alors que c’est un succès exceptionnel. Il a fallu tout reconstruire.
On vous avait rarement vu aussi ému, après la qualification contre le Burkina Faso...
Cela faisait exactement un an que j’avais perdu mon frère. Ça m’a bouleversé. Ma première pensée a été pour lui. Il a beaucoup compté dans ma carrière.
Comment créer un état d’esprit conquérant avant la phase finale ?
 J’ai fait remarquer aux joueurs qu’Ibrahimovic, l’un des meilleurs du monde, ne sera pas au Brésil et que l’on devait être conscient de la chance que nous avons d’y être. Je leur ai répété qu’il fallait se préparer à souffrir. Pour y arriver, j’ai besoin d’un esprit Coupe du monde. Sinon, le rêve peut tourner au cauchemar.
L’Algérie ne va pas au Brésil juste pour participer ..
Ah non, pas du tout ! Les Algériens attendent que l’on passe le premier tour.
Face à la Belgique, la Russie et la Corée du Sud, est-ce dans vos cordes ?
Sur le papier, on est la quatrième équipe du groupe. En 1982, l’Algérie possédait la meilleure formation de son histoire et elle n’a pas passé le premier tour. Lors de ses deux dernières participations, en 1986 et en 2010, elle n’a pas gagné un seul match et n’a marqué qu’un but, sur coup franc (Djamel Zidane en 1986, contre l’Irlande du Nord, 1-1). Donc, on exige de nous le plus grand exploit de l’histoire du football algérien. En est-on capables ? Je n’en sais rien. Je bosse jour et nuit pour préparer non pas un, mais trois exploits, mais je ne sais pas si on va y arriver. Quand j’entends certains analystes marteler que l’Algérie doit aller en quarts de finale, en demi-finales, j’ai envie de leur dire : “Très bien, donnez ces garanties au président et prenez ma place !’’
Est-ce du réalisme ou du pessimisme ?
Moi, je n’ai peur de rien. J’ai connu la guerre et des situations tellement plus difficiles dans ma vie. Ma seule crainte, c’est l’enthousiasme et l’optimisme démesurés de certaines personnes. Je m’efforce d’être réaliste et de faire passer ce message, ce qui provoque des polémiques terribles. Ceux qui nous voient déjà en huitièmes n’ont jamais vu jouer nos adversaires. Moi, j’ai vu la Corée ! Ce sera peut-être l’adversaire le plus dur du groupe. Elle dispute sa huitième Coupe du monde de suite et a déjà atteint les demi-finales. C’est une expérience incomparable.
Êtes-vous lassé par les critiques ?
J’ai très mal vécu les attaques de certains médias qui s’en sont pris à ma famille. Ils ont écrit n’importe quoi ! Que mes frères organisaient les matches amicaux de l’Algérie pour prendre de l’argent. C’est inacceptable ! Les supporters, eux, m’apprécient beaucoup. Je n’ai jamais entendu un mot de travers de leur part. Mais je ne veux pas verser dans le populisme et leur mentir. L’optimisme démesuré ne sert pas à grand-chose. Tout ce que je peux leur promettre, c’est qu’on va se battre avec courage, audace et détermination.
Quelles sont les conditions pour franchir le premier tour ?
Chacun devra être à 100% dans la discipline, la générosité, l’implication. Et il faudra un peu de réussite. En trois ans, on a transformé une équipe ultra défensive en une équipe qui joue avec deux milieux offensifs et trois attaquants. On a marqué presque deux buts par match, mais on doit progresser de 50% dans le travail défensif. En Coupe du monde, il faut un réalisme à l’italienne, en défense comme en attaque.
Vous souvenez-vous de ce jour de février 2010 où un fax de la Fédération ivoirienne est arrivé à votre domicile pour vous informer de votre licenciement, à trois mois de la Coupe du monde ?
C’était dégueulasse ! Quel manque de respect ! À aucun moment, le président de la Fédération n’a osé m’appeler. C’est un secrétaire qui a envoyé le fax. “Tu n’as pas gagné la CAN. Tu es remercié.’’ Des mots misérables ! Vingt-quatre matchs, une défaite ! J’étais dégoûté. Lors du tirage au sort de la Coupe du monde au Brésil, le nouveau président de la Fédération ivoirienne est venu s’excuser. Hélas, en Afrique, la politique se mélange tellement au football qu’elle freine sa progression.
Avez-vous craint que cela se reproduise, après l’élimination de l’Algérie au premier tour de la CAN-2013 ?
Non. J’avais pourtant prévenu que je partirais, si on ne passait pas le premier tour. Mais tout le monde voulait que je reste. Les gens étaient contents du jeu et des efforts que nous avons produits.
Depuis six mois, le président de la Fédération, Mohamed Raouraoua, a tenté de vous faire prolonger, mais vous n’avez pas donné suite. Pourquoi ?
Au lendemain de la qualification, je lui ai qui qu’on verra plus tard. Huit jours après, il me demandait si j’avais réfléchi. J’aurais pu signer pour un an, quatre ans, ou même huit ans, jusqu’à la Coupe du monde au Qatar. Mais si je prolonge et que ça se passe mal au Brésil, qu’est-ce qu’on fait ? J’ai préféré être sincère et dire qu’on verra cela après. Je dois en discuter avec ma famille. Heureusement que j’ai une femme compréhensive, car je passe un ou deux mois par an à la maison. Parfois, je culpabilise.
Les Algériens ont du mal à comprendre votre attitude…
Je comprends qu’ils ne comprennent pas. Certains ont pris cela pour un manque de respect, alors que c’est une réflexion toute personnelle. J’ai bâti une équipe qui sera beaucoup plus forte dans quatre ans, en Russie. Je pourrais me dire que je vais cueillir les fruits de mon travail. Mais je n’ai rien décidé. Je suis resté fidèle à l’Algérie, alors que j’ai eu des propositions supérieures sur le plan financier dont je n’ai jamais fait état.
Le président est-il fâché contre vous ?
Il n’est pas content. C’est normal, il est dans son rôle. Et je comprends qu’il ait pris des contacts avec d’autres entraîneurs.
Votre successeur probable, Christian Gourcuff, a déjà visité le centre technique national en avril…
J’aurais aimé un peu plus de discrétion, mais bon.
Un sélectionneur sur le départ ne voit-il pas son autorité affaiblie par rapport à ses joueurs ?
C’est un risque, oui. Mais si un joueur ne respecte pas le groupe, il sera écarté. Il y a quarante millions d’Algériens qui nous regardent. Pour eux, l’Equipe nationale, c’est sacré ! On n’a pas le droit de lui porter atteinte.
 

 

Publié dans : raouraoua Ibrahimovic. gourcuff

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